Arts libres et filière “alternative”plage_art_senik_03_.jpgplage_art_senik_02_.jpgplage_art_senik_.jpglogo.JPG
Utopie : étymologiquement, lieu de nulle part. Art’senik est une utopie réalisée, unique en son genre àla Réunion, fondée sur des principes libertaires etsympathiques, sans dogme, autour d’une maison ouverte aux quatrevents et à tous les artistes qui souhaitent y faire escale,écrire, peindre, sculpter, composer, jouer de la musique ouplus simplement exposer.

Sophy Rotbard en est l’âme, petit bout de femme perdu aubeau milieu d’un atelier anarchique de création permanente,riche de trésors esthétiques et d’innombrablesamitiés. Art’senik vit depuis 1991, date à laquelle onteu lieu les premières actions sur le site de la ravine desSables “qui était à l’époque un parc àcabris”. L’inauguration “officielle” remonte à 1993-1994, avecse souvient Sophy en tirant sur sa clope, “Dom-Tom,Hélène Coré, Sabina Azgarali” et plein d’autresencore. D’emblée le contexte “alternatif” a étéposé par une confrontation des styles et des genresinédite à la Réunion. “Dom-Tom venait dedébarquer à la Réunion, en provenance de Paris,de la zone des banlieues, avec ses détournements de cartons”,du junk art, très urbain. Dom-Tom c’est Dominique Garcia. Ilavait découvert la Réunion par l’intermédiaired’amis à lui, des relations de Raymond Odoz, l’homme au pianomaloya, qui fréquentaient l’appartement des artistesréunionnais de passage à Paris, la mouvance deCarroussel, Lloy Herlich et bien d’autres. Les cartonsdétournés de Dom-Tom contrastaient rudement avec lesstatues de coco d’Hélène Coré, très”roots” au sens propre du terme. “Cette première exposition aété magique”. Sophy Rotbard a des étincellesdans les yeux lorsqu’elle évoque ces moments.
Elle s’est posée à la Réunion, en provenance deMaurice, où elle avait participé aux premièresmanifestations du seggae, avec des groupes comme Ras Natty ou encoreRacine Tatane. Une amie de longue date de feu Kaya, familierd’Art’senik lorsqu’il était de passage à laRéunion – Sophy n’a de cesse de dénoncer son assassinatpar la police mauricienne et d’appeler au boycott de tout ce quitouche à l’Etat mauricien – ou d’Erik Triton, le bluesmanmauricien qui a donné ses premiers concerts sur lascène ouverte du lieu. En un premier temps elle atravaillé à l’expérience culturelle Pinson deSaint-Leu, puis a poursuivi seule son voyage sur les sables de laravine, qui de parc à cabris s’est muée en happeningpermanent. Pour Sophy, le choc culturel, l’histoire d’amour avec lesartistes de la Réunion a débuté par unerencontre avec Anne Cheynet, artiste peintre, dont lacréativité faisait le lien entre cultureréunionnais et culture mauricienne. “Anne qui exposait sestoiles, disait ses poèmes créoles avec Lelou et sonravann”
Pour Sophy, Art’senik ne serait qu’une coquille vide sans lesplasticiens qui lui donnent vie, en dépit du dénuementdu lieu, privé d’électricité depuis toujours.”Les premières soirées, les premières expos ouperformances, elles ont eu lieu à la lumière debougies, ou encore sur des batteries de voiture. Quand lalumière baissait, on faisait tourner le moteur pour rechargerla batterie, alors fatalement, à chaque fois, il y avait unintermède d’obscurité..” Autour d’Art’senik s’estdéveloppée toute une constellation d’artistes,peintres, écrivains, poètes, musiciens, qui vont etviennent, se posent là pour confronter leurs idées,oser des expos que personne n’accepterait ailleurs, et surtout pasles galeries “officielles” et subventionnées. C’est le cas deJoëlle Sommier qui avait exposé “Chaussures” – plusexactement “Pointures et peintures” – une création,explique-t-elle basée sur des semelles des années 70,”c’est le cyclone Hollanda qui les avait exhumées,emportées en mer; et les flots les avaientdéposées sur le rivage. Je les airécupérées, elles correspondaient vraiment auxannées 70, semelles compensées pour pattes d’eph”Peintes, décorées, détournées et mises enscène, chaque chaussure était agrémentéed’un poème de Patricia Poutet.
Plus tard, du 7 au 30 juin 97, il y a eu”Etats de siège pourune image de rêve”. Art’senik transformé en une salled’attente onirique, invitait à l’introspection “sans divanderrière la porte”, mais avec des chaises et sièges,détournés de leur fonction originelle, tel le fauteuil”Pénélope” qui achève de se fondre dans lanature, en compagnie des épouvantails du jardin. Au nombre deshabitués de la maison, des écrivains comme JeanneBrézé, ou encore Isabelle de la Michellerie, qui aimentà venir travailler là, au calme, entouréesd’artefacts insolites, qui ont chacun une histoire à raconter.La case aux merveilles de Sophy a logé bien des voyageurs,nomades de la création artistique parallèle, enprovenance des pays de la zone, pays frères encréation, en dépit des frontières ou despréjugés.
Et puis, il y a encore les musiciens, heureux de trouver sous lesfilaos un lieu où répéter librement, donner desconcerts parallèles, sans être tracassés par tousles à côtés pénibles imposés pardes salles qui se la jouent Olympia des tropiques Pierre Myrthe etTeddy Babet du groupe de maloya electric Gadiamb sont des supportersenthousiastes de ce qui se passe à Art’senik. Tout comme les”Lakistes” dont nous reparlerons ultérieurement. Ils ontdonnés là bien des concerts, lors des premiers kabarsde la ravine des Sables, après des débuts difficilesdans l’ombre des groupes “politiquement corrects” , soutenus par leréseau, “la mafia” précise Pierre, des pros de lakiltir pays. Leur credo, le maloya electric, ils y sont farouchementattachés, refusant les compromissions. Ils déplorent,sans geindre, qu’on veuille leur faire “craser un séga”gnangnan pour passer sur les radios. Faut pas trop leur parler desusines à gaz subventionnée de “Babylone Saint-Leu, del’ODC” ou d’autres machins du même genre. Sous les filaosd’Art’senik la parole est libre, comme la création, et lesartistes attendent du “public” une réponse immédiate,une critique vive, un feeling qui ne soit pas de convention. Ph. Le. C.